Les femmes, grandes absentes des métiers de la technique et de l’informatique
En Suisse, bien qu’elles soient ouvertes à toutes et tous, les différentes filières de formation et d’emploi restent largement une affaire de genre. Le phénomène est particulièrement visible dans les domaines scientifique et technique, où seul un petit nombre de femmes réussit à se faire une place. Si leurs compétences ne sont pas en cause, alors quoi? Que dit cette rareté de notre société?
Aux garçons les métiers de l’ingénierie ou de l’informatique, aux filles les professions en lien avec l’éducation ou les soins. Alors que les différentes filières et formations sont aujourd’hui indifféremment ouvertes aux deux sexes, les métiers demeurent souvent une affaire de genre dans notre pays. Dans l’indice du Forum économique mondial (WEF) sur l’égalité entre hommes et femmes de 2017, la Suisse ne fait même pas partie des 20 meilleurs pays dans ce domaine. Cette analyse vient confirmer celle réalisée une année auparavant par le journal britannique «The Economist», selon laquelle le marché du travail suisse est le plus discriminatoire d’Europe quant à l’égalité hommes-femmes. Il figure au dernier rang des 21 pays examinés, loin derrière les pays scandinaves et la France, leaders du classement.
A l’exception des domaines de la chimie et des sciences de la vie, les orientations scientifiques et techniques sont largement dominées par les hommes. Et lorsqu’une progression du nombre de femmes existe, celle-ci reste modeste. C’est le cas par exemple à l’EPFL, où les étudiantes au niveau Bachelor représentaient 30% de la population estudiantine en 2019-2020, soit une progression de 3% par rapport à la période 2015-2016. Leur pourcentage atteint 27% au niveau Master (+ 2%), et celui des doctorantes 32% (+3%). La courbe des collaboratrices scientifiques connaît elle aussi une progression limitée (25%, + 2%), tandis que la proportion de maîtresses d’enseignement et de recherche reste, selon les termes de l’EPFL Gender monitoring 2019-2020, «remarquablement bas» (10% en 2019), tout comme celui des professeures titulaires (14%).
Cette situation constitue un sujet de préoccupation majeur pour l’Académie suisse des sciences techniques (SATW). En observatoire attentif de l’évolution sociétale liée aux sciences techniques, les questions liées à la relève, au déséquilibre voire aux inégalités entre les sexes, ont depuis longtemps été identifiées comme centrales.
Les jeunes filles plus nombreuses que les garçons dans les HES
Dans le même temps, les jeunes femmes sont toujours plus nombreuses dans les HES suisses, plus nombreuses même que les jeunes hommes. En 2020, elles représentaient un peu plus de 52% de l’ensemble de cette population estudiantine. Leur présence varie de manière importante selon les domaines. Ainsi, largement représentées voire majoritaires dans les filières consacrées au design, aux arts visuels, à la musique, aux arts de la scène, à la santé et au travail social, elles sont 20% seulement à opter pour l’ingénierie ou l’architecture. Dans la voie de l’apprentissage technique, on estime à près de 20 000 le nombre de places proposées chaque année; à peine 1000 sont occupées par des jeunes femmes.
Ces disparités se retrouvent évidemment dans la population active. En 2020, la santé (89,2%) et les services sociaux (83,7%) sont clairement l’apanage des femmes. En revanche, l’ingénierie et les métiers techniques occupent seulement 6,9% de femmes. L’informatique fait à peine mieux, avec une proportion de femmes actives de 8,1%. Dans une étude du Fonds national de la recherche scientifique datée de 2013, la Suisse arrivait au 44e et dernier rang pour son pourcentage de femmes optant pour les mathématiques ou l’ingénierie. Des pays comme la Colombie, la Tunisie et la Bulgarie se trouvaient en tête du classement.
Un problème de perception et non de compétences
La rareté des femmes dans certaines branches ne doit rien à leurs compétences, mais beaucoup à un problème de perception. Tout se passe comme si la notion de métiers «masculins» et de métiers «féminins» était tellement intégrée que chaque sexe se dirige «tout naturellement» vers ce qui est attendu de lui. De plus, le choix d’une profession se fait tôt, à un âge où il est difficile d’aller contre ce qui apparaît comme une norme.
L’école elle-même n’est pas exempte de stéréotypes de genre. La croyance selon laquelle les filles sont fortes en littérature et les garçons forts en maths, n’a pas disparu. En biaisant la perception que les jeunes ont de leurs propres compétences, ces stéréotypes finissent par faire naître des aspirations en harmonie avec ces mêmes stéréotypes. C’est ainsi que les métiers «masculins», ceux de l’ingénierie et de l’informatique notamment, continuent d’attirer les jeunes garçons, tandis que les métiers «féminins», les métiers du soin aux autres notamment, continuent d’attirer les jeunes filles. A noter que ces derniers, parce qu’ils font appel à des aptitudes relationnelles considérées comme innées – qui ne sont donc pas reconnues au titre d’authentiques compétences professionnelles – , sont à la fois moins prestigieux et moins bien rémunérés.
Au traditionalisme des représentations s’ajoute la difficulté à concilier vie familiale et vie professionnelle: le dilemme «profession ou famille» reste prégnant. La plupart des ménages suisses, en particulier ceux avec enfants, sont encore organisés de manière traditionnelle, avec une répartition déséquilibrée du travail domestique et de la charge mentale du foyer.
L’informatique, une branche qui s’est masculinisée
L’informatique, qui occupe on l’a dit 8% de femmes en Suisse, constitue un bon exemple de masculinisation d’une profession. Sans remonter jusqu’à Ada de Lovelace, qui écrivit le tout premier programme informatique en 1842, la branche comptait à ses débuts, dans les années 1940-1950, un pourcentage important de femmes. Ces calculatrices et mathématiciennes, souvent autodidactes, se consacrent souvent aux logiciels (software), laissant le hardware à leurs homologues masculins.
Le début des années 1980 marque un tournant, avec l’arrivée des microordinateurs, objets techniques immédiatement associés au masculin. Peu à peu, l’idée s’impose sous nos latitudes que l’informatique est un métier d’hommes. De nombreux garçons s’engagent dans cette voie, faisant du même coup baisser drastiquement le pourcentage de femmes employées. Ou comment un métier qui possède toutes les caractéristiques attribuées aux professions féminines – aucune force physique requise, pas salissant, pas dangereux, permettant le télétravail – a changé de sexe en quelques décennies.
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